"Et voici : un homme s'approcha et dit à Jésus :
"Maître,, que dois-je faire de bon pour avoir la vie éternelle ?" Jésus
lui répondit : "Pourquoi m'interroges-tu sur ce qui est bon ? Un
seul est le bon. Si tu veux entrer dans la vie observe les commandements.
" "Lesquels ? lui dit-il. Et Jésus répondit : " Tu
ne tueras point ; tu ne commettras point d'"adultère; tu ne voleras point;
tu ne diras point de faux témoignage ; honore ton père
et ta mère et tu aimeras ton prochain comme toi-même." Ev. St Math.,19
Le conflit
entre le Dieu d'Israël et celui des chrétiens qui a déterminé les deux mille
ans d'histoire moderne, arrive aujourd'hui à sa fin. Non pas que les positions
réciproques du judaïsme et du christianisme puissent se concilier, mais que le
nihilisme moderne qui fait éclater le christianisme pousse l'humanité entière
dans la judéité. Mais rien n'est possible si Israël ne fait pas preuve d'une
véritable clairvoyance dans la compréhension de l'élément prophétique à
l'oeuvre dans le nihilisme. Cette clairvoyance sera refusée à Israël si Israël
ne parvient pas à penser tout le mouvement moderne aboutissant au
nihilisme, en comprenant le rôle fondamental qu'y a tenu, contre sa
divinisation et à travers elle, le juif de Nazareth.
Israël seul détient la clef de la modernité
post-nihiliste, déposée au secret des Evangiles, mais cette clef lui restera
inutilisable tant qu'il n'aura pas compris et réintégré Jésus. Ce ne fut pas
la divinité de Jésus qui était à l'oeuvre dans l'aventure chrétienne, mais,
menant la civilisation chrétienne au-delà d'elle-même, c'était sa judéité.
Les juifs les plus audacieux doivent découvrir aujourd'hui le secret des
Evangiles et comprendre que Jésus, contre le christianisme, a poussé l'humanité
entière dans la judéité. Israël doit devenir le centre métaphorique
existentiel des nations, en restituant son rôle axial à la judéité du Rabbi
de Nazareth. Jésus aura été l'homme de la Seconde Alliance, dont il aura
ouvert les portes au nom de tout Israël il y a deux mille ans; mais sa judéité
insurrectionnelle dut engager la lutte sur le terrain de sa négation et de son
impossibilité qu'aura été le christianisme: divinisé, il prit l'aspect de
son contraire ; juif indispensable à la tâche indispensable, il parut être le
plus grand ennemi de son propre peuple. Mais l'histoire ayant aujourd'hui explosé
grâce à lui, il est urgent que son peuple le réinsère au centre qu'il
occupe, de son histoire prophétique. L'essentiel n'est pas d'admettre que Jésus
était juif, mais d'admettre que ce fut la conception originale d'Israël qui,
à l'insu du christianisme et contre le christianisme, se sera exercée durant
les deux mille ans de civilisation chrétienne : la judéité insurrectionnelle
du Rabbi de Nazareth aura été prophétiquement à l'oeuvre contre la
divinisation du Rabbi de Nazareth effectuée par le christianisme. Le nihilisme,
qui est la fin du christianisme puisqu'il désacralise complètement l'idole du
"Christ-Dieu", est le commencement d'un messianisme juif mondial,
parce qu'il laisse la place à la conception du royaume du Rabbi de Nazareth qui
est, profondément, celle des prophètes d'Israël.
Après le meurtre de six millions de
juifs, la question se pose aujourd'hui pour Israël - et pour quiconque dans les
nations est en quête de la fin du meurtre -, de dresser le bilan de deux mille
ans d'antisémitisme chrétien, non pas seulement à l'atroce clarté des
millions de juifs massacrés, pogromisés, holocaustés par le christianisme,
directement ou indirectement, mais la question se pose de dresser ce bilan à la
clarté du désastre qu'aura été pour le monde chrétien lui-même et pour le
monde tout entier, la conception férocement anti-juive de la "foi en le
Christ-Dieu", qui aura prévalu dans le christianisme, à la place de la
conception juive de la foi qui fut celle de Jésus : c'est à la clarté de
l'urgence de sortir de ces charnier, urgence qui est celle de tous les hommes désormais,
et non pas seulement à la clarté du martyre qui aura frappé le peuple juif,
que le désastre doit être évalué. Et tout homme honnête - honnêtement
honnête ! - doit comprendre que le juif de Nazareth est le vrai refoulé du
christianisme parce que le royaume est son refoulé - en sorte que le scandale
d'avoir massacré les juifs pendant deux mille ans signifie le scandale d'avoir
refusé le royaume, c'est-à-dire le seul plan existentiel où le moi de chaque
homme, juif ou pas, devient réel : tout homme honnête doit comprendre que la négation
du royaume à l'oeuvre dans le christianisme aura consacré le refus et la négation
paroxystiques du moi humain et que ce refus est seul responsable du monde
fantomatique de tueurs dans lequel nous sommes tous aujourd'hui plongés. Tout
homme honnête doit comprendre que c'est la Révélation portée depuis Abraham
par Israël qui a été refusée au cours de deux mille ans d'antisémitisme chrétien
: ce fut la haine de la judéité du Rabbi de Nazareth - proportionnée à la
proscription de ce royaume que désignait frénétiquement la judéité de Jésus
! - que le christianisme aura exprimée au cours de deux mille ans de rejet et
de persécution du peuple juif. Tout homme intègre doit découvrir sous le
mythe du "Christ-Dieu", le Rabbi de Nazareth, afin, rejoignant la
position de la judéité insurrectionnelle de Jésus - que celui-ci partage avec
tout Israël -, de participer lui-même au travail de la fin du meurtre et de la
mort qui, pour lui, comme pour tous les hommes, est la seule urgence
aujourd'hui.
En dépit des apparences savamment entretenues par le
christianisme et par la terreur qui frappe les juifs dès qu'il s'agit de Jésus
(au point qu'on puisse parler d'un véritable tabou...), le conflit entre Israël
et Jésus, différent du conflit entre les juifs et les chrétiens, n'est pas un
conflit entre Israël et un homme, Jésus, qui se met hors l'Alliance par son
originalité. C'est au contraire le conflit entre la conception de l'Alliance
qu'ont la plupart des juifs qui vivent leur foi juive à des températures
moyennes, et celle que s'en fait un homme - Jésus -,qui vit la foi juive dans
sa dimension de folie et d'incandescence. Jésus se tient complètement dans le
prophétisme juif et c'est l'incandescence de la judéité et de ses
illuminations qu'il répand. Il ne diffère en rien par sa vision de la vision
des grands prophètes d'Israël qui le précèdent et le suivent. Mais leur
singularité - être dans la folie d'une exigence - n'apparaissait pas
directement à la plupart des juifs qui eux n'étaient pas directement prophétiques
puisqu'ils n'avaient pas nécessairement la folie de l'exigence prophétique
(lorsqu'il l'avaient, ils accédaient à leur tour aux illuminations prophétiques...)
: Les prophètes, englobant les juifs dans une stratégie de la rédemption, plaçaient
les juifs (grâce à la Thora) dans le champ de la Révélation sans que les
juifs fussent nécessairement prophètes... Ce paradoxe, directement issu de la
stratégie prophétique, qui caractérise la singularité des juifs, ne fut pas
celui de Jésus bien qu'il l'acceptât, et s'en réclamât, parce que sa
vocation prophétique était, contrairement à celle des autres prophèmtes, de
placer dans les nations le scandale de la judéité afin de déclencher
souterrainement l'insurrection du royaume. La judéité à sa température
d'incandescence est la découverte de la présence du royaume dans l'histoire, découverte
effectuée depuis le coeur de l'homme. Jésus semblait s'opposer aux juifs, mais
il était le juif absolu ; il semblait, depuis la réduction de la judéité
qu'effectuait, en méconnaissant partiellement le secret du prophétisme, l'e
judaïsme conformiste, se manifester dans une opposition radicale aux prophètes
: en fait, il était vis à vis des juifs dans un rapport tactique différent de
celui des autres prophètes. Il divergeait d'eux selon des impératifs qui procédaient
de la même stratégie prophétique globale : il y avait - et il y a !
- complémentarité et convergence entre la tactique des prophètes qui posent le
scandale juif dans les nations et la tactique de Jésus qui pose les nations
dans le scandale juif (à leur corps défendant). En Jésus, les juifs étaient
confrontés à leur propre paroxysme ; aussi, seuls les juifs paroxystiques étaient-ils
capables de comprendre le rôle providentiel et totalement juif de l'homme de
Nazareth. Un conflit était donc inéluctable entre les juifs et Jésus,,
conflit d'une très grande force, mais non pas de nature telle que par ce
conflit entre deux températures de la judéité, l'une où le judaïsme ne s'élucide
lui-même que partiellement, l'autre où il s'élucide totalement, Jésus fût
mis hors de l'Alliance d'Israël avec son Dieu ou que les juifs fussent mis hors
de la conception du royaume qui était celle de Jésus. Aussi est-ce parce qu'il
était le juif absolu que ceux qui se l'approprièrent, en opposition à Israël,
le trahirent, et est-ce aussi parce qu'il était le juif absolu que seul le
prophétisme d'Israël détient les clefs de l'entreprise qu'il a enclenchée.
A partir du moment où le
christianisme vient se jeter dans le nihilisme qui le désacralise en révélant
sa criminalité totale - celle de l'histoire universelle qu'il ramasse et résume
- les nations, nihilistes, sont toutes en puissance de dépasser le nihilisme.
L'entrée dans ce que j'ai appelé la Seconde Alliance, devient dès lors leur
seule urgence, mais c'est une urgence qu'elles ne peuvent formuler, parce que le
dépassement du nihilisme leur est inconcevable. La judéité seule - la découverte
subjective que le royaume est partout - est capable de provoquer ce dépassement.
Et telle serait la tâche des juifs les plus lucides aujourd'hui : nommer, au
nom de toutes les nations, l'irruption du royaume dans l'histoire, au-delà du
nihilisme qui devra s'éteindre comme une lumière artificielle et trompeuse,
provenant du christianisme finissant.
La Seconde Alliance correspond à
l'entrée de toutes les nations dans la conception juive de la liberté, du
royaume et de l'histoire, et correspond aussi à la conception de la liberté,
du royaume et de l'histoire qui fut celle du Rabbi de Nazareth.
Seraient liés à cette tâche tous
ceux qui, dans les nations, ont découvert la criminalité et l'intolérabilité
de l'histoire et sont en puissance de dépassement complet de celle-ci. Des
hommes et des femmes innombrables sont en quête aujourd'hui - sans le savoir !
- de leur judéité : ils devront l'atteindre, avec l'aide de ceux parmi les
juifs qui auront compris que ce mouvement détermine la modernité. L'heure de
la Seconde Alliance a sonné.