Mitzpe Ramon
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Je découvris Mitzpe-Ramon, dans le désert du Néguev, en Israël, il y a une dizaine d'années. Je sus aussitôt que cette cité lunaire (quatre mille habitants, venus de tous les pays du monde), à la beauté et à l'étrangeté inouïes, était l'endroit idéal pour mettre sur pied le projet Vers la Seconde Alliance qui est l'objet de mes différents ouvrages. Sis entre Bercheva et Eilat, à mille mètres d'altitude, au bord d'un des cratères les plus larges du monde, Mitzpe-Ramon, peuplé de pionniers magnificents, était le lieu où une vision juive radicale, révolutionnaire, également ouverte aux juifs et aux non-juifs, pouvait se développer comme un ferment, hors des critères religieux, sociaux et politiques.
     Je partage mon temps entre Paris et Mitzpe-Ramon, où je souhaite faire entendre à tous ceux qu'interpelle l'énigmatique aventure du peuple juif, que cette aventure les concerne directement : en Israël, se joue - et se gagne... - le sort de l'homme, de tous les hommes. La pensée prophétique d'Israël, rejetée et méconnue par l'Occident - et par le monde ! -, qui seule a en charge le salut général doit se propager. Israël aujourd'hui doit s'extraire métaphysiquement et pratiquement de l'exil. Il doit s'instruire en
"lumière des nations". En ce sens, Mitzpe-Ramon doit devenir un atelier de judéité sauvage, où quiconque le souhaite pourra découvrir sa propre judéité et sa charge messianique de magnificence. De nombreux amis, venus de tous les horizons, m'aident - circulant entre Mitzpe-Ramon et leurs différents pays. Il s'agit non de s'y installer, mais d'instaurer un courant, ouvert à tout et à tous, entre Mitzpe-Ramon et leurs pays d'origine.
     A Mitzpe-Ramon sont revendiquées Joie et Gratuité, que partout, dans un vertige de meurtre, l'homme a mises hors la loi. Y est abordée dans le sens d'une émergence juive universaliste, la question de l'homme, c'est-à-dire la question de la fin du meurtre. Tous ceux qu'interpelle cette démarche sont invités à faire avec moi de Mitzpe-Ramon le foyer d'une utopie juive universaliste et révolutionnaire : provoquer une révolution de la foi telle qu'elle soit en état d'assumer les urgences de la modernité.
     Mitzpe-Ramon c'est, au-delà de l'exil, la déésignation fugace, aux confins du meurtre (qu'est l'histoire, notamment l'histoire moderne !) de la Terre de l'Homme.
     Je forme le voeu que Mitzpe-Ramon devienne la Ville de la Seconde Alliance.

                                                                                                            B.C.
                                                         
Mitzpe-Ramon, le 15 mars 1995

 

DESERT

     Gloire à toi, Désert, que tourmente le vent ! que le soleil calcine !
      Gloire à toi, Désert, qui flambes en chacun de tes rocs, bûcher de pierre du silence où l'homme passe en brûlant, fiévreux squelette de lui-même ! Gloire à toi, Désert, qui déchires le voile de l'Histoire et exposes les chairs torturées du lieu dans la magie de tes pierres !
     Gloire à toi, Désert qui irrigues l'Exil de l'eau invisible et insupportable des absences !
     Gloire à toi, Désert qui, dans l'intégralité de ton ciel et de tes pierres, lances à la folie du monde, le défi de l'attente !
     Désert ! Grand Désert ! tout attend en toi-même ! Grand désert : coeur de l'homme, immobilité mobile de l'attente !
     Attente des pierres et attente des bêtes !
     Tout en toi est attente, que l'homme réponde à toute attente !
     Et l'espace et le temps entrent en lévitation en toi, juste dedans l'homme!
     Gloire à toi, Grand Désert de ma passion ! gloire à toi, Grand Désert impavide de mon désespoir et de ma gloire !
     Vidé de tous les moi en toi, ici, Désert, je recueille dans l'oasis de ta force, l'eau bonne à mes attentes !
     Gloire à toi, Désert, pourfendeur de l'arrogance, récusateur de l'homme, grand décapeur du Temps !
     Gloire à toi, Grand Désert, maître du grand silence !
     Gloire à toi, grand dépouillé de toi-même !
     Gloire à toi, grand conquérant du Soleil !
     Gloire à toi, usine de lumière sans prolétaire !
     Gloire à toi, Grand Désert, qui chantes, qui brûles et qui tourmentes !
     Gloire à toi, Désert, qui ne fais pas de concessions à la terre et qui expulses loin de tes frontières l'indispensable inutile !
     Gloire à toi, Grand Désert !
     Sur tes pierres couleur du sable, le voyageur inscrit comme une trace de ses pas, la trace de son regard !
     Grand Désert !
     La vision, plus vaste que l'espace, Grand Désert, s'est rejointe en toi, et marcher en toi, c'est marcher en soi-même !
     Grand Désert circulaire, en toi se célèbre le mystère du cercle où viennent se perdre toutes les lignes ! 
     Tu es l'ombre et la trace de lumière de l'Infini !
     Tu es la face cachée de l'homme, la face visible de Dieu !
     Tu es le vandale cruel du Faire ! tu es le vainqueur sans pitié de l'homme sans pitié !
     Tu es l'annulateur terrifiant de l'Histoire, qui la pulvérises du moindre coup de poing de tes pierres !
     Désert ! Grand Désert ! telle la femme adorée, recueille-moi dans la sensualité aimable de tes chairs !
     caresse-moi avec les mains innombrables de tes rocs !
     remets pour moi le monde, qui est à l'envers, à l'endroit !
     Brise ce miroir où sur toute la terre, même sur tes pierres, l'homme contemple affolé la face de tueur qu'il croit être la sienne parce qu'il se l'est donnée et dont toi seul, Grand Désert, sais qu'elle ne l'est pas !
     Rends à l'homme, en brisant ses miroirs, son visage réel d'homme, qu'il a depuis si longtemps perdu qu'il en a même oublié qu'il l'a perdu !
     Manifeste-moi, Grand Désert, ton hospitalité d'Orient, en m'offrant les fruits de la terre, qui ont mûri en toi durant les millénaires, au secret de la mort et à rebours de l'homme !
     Eteins pour moi le Meurtre, Désert, qui partout ensorcelle la terre et offre-moi les magies de la vie qui n'a besoin d'aucun cadavre !
     Désert ! Grand Désert ! Je suis ce marcheur vêtu malgré soi de la mort ! Je suis ce marcheur revêtu de la mort comme d'un habit qui n'est pas le sien, qui le déforme et qui le défigure, que l'ont forcé à mettre ses frères humains qui ne sont encore que ses assassins !
     Défais-moi de la mort que me forcent à porter, Grand Désert, mes frères-tueurs !
     Grand Désert, rends-moi à la joie légère du corps qui ne meurt pas ! rends-moi à un corps qui est mien, que rien n'épuise ! Grand Désert de mes chairs, refais de moi entièrement le moi que je suis ! Marie-moi à tes chairs lourdes et légères !
     Allège pour moi tes rocs et fais-moi vérifier en riant que je suis bien chacune de tes pierres ! fais que tes pierres me parlent et me chantent et me répondent ! fais que je constate, Grand Désert, avec ma sensitivité entière, ce que je sens et sais, que dans un monde où l'homme est traître à l'homme, tes pierres, elles, n'ont pas trahi !
     Fais, Grand Désert, que tes pierres parlent à mes sens, des plénitudes qui attendent nos corps !
     Fais-moi connaître et vivre, Grand Désert, l'autre appartenance que l'homme, au seul bénéfice du meurtre et de la mort, a proscrite à jamais !
     Fais parler, Grand Désert, tes pierres une à une et qu'elles chantent enfin l'hymne de ma victoire sur la terre des tueurs !
     Grand Désert, fais crier à tes pierres, ma victoire légère sur la si lourde terre !
     Désert, défais pour moi la mort et fais-moi vérifier avec tous mes sens, ce que je sens et sais, que la mort ne fut rien qu'un habit de tueur que m'avait forcé à mettre la multitude cohérente de mes frères-tueurs !
     Fais, Grand Désert, que dévêtu de cet habit du meurtre qu'est la mort, ma nudité enfin se confonde avec la tienne !
     J'ai faim, Désert, d'autre chose que de ce qui pèse ! J'ai faim, Désert, d'une autre terre, présente dans la terre au secret de la mort !
     J'ai faim, Désert, de tous tes infinis !
     Sur la si lourde terre, Grand Désert, où tout a trahi, parce que l'homme est traître à l'Infini, Grand Désert, vaste cratère, autre face de moi-même, Grand Désert Volcanique, je m'offre à toi, j'ai quitté la Ville et à toi, je crie cette demande :

VIVRE NON UN GRAND AMOUR MAIS UN GRAND INFINI !